Les marchés contre Poutine
C’est un élément radicalement nouveau dans l’histoire des crises soviétiques : la bourse tangue, le rouble s’effondre, et le gaz n’est plus une arme efficace. Et si les marchés devenaient la plus vertueuse des forces démocratiques?
Ce titre est un non-sens, je l’admets. Les marchés ne sont « contre » personne, les marchés ne pensent pas, ils réagissent. Le « il » est d’ailleurs lui-même abusif, à proprement parler « les marchés » n’existent pas, ce sont des mouvements simultanés qui donnent souvent l’impression d’être coordonnés pour la seule raison que ceux qui les impulsent obéissent aux mêmes lois : celles de l’optimisation permanente du rapport risques/rendement. Toujours avoir en tête qu’ils ont à peu près la conscience politique d’un cours d’eau, suivre la pente la plus favorable à leurs intérêts. Toujours avoir en tête qu’ils sont à 75% gérés par des ordinateurs et répondent à la seconde à des ordres de ventes ou d’achats massivement programmés
Ceci dit, Poutine se retrouve devant une situation qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait connu : gérer cette puissance étrange, insaisissable, qui pourtant peut fragiliser son empire.
Le rouble ne flottait pas quand les soviétiques ont ordonné la dissolution de Solidarnosc, pas de bourse de Moscou à l’époque du coup de Prague, pas d’oligarques impatients le jour de l’invasion de l’Afghanistan.
Or voilà que ce matin, la Russie se réveille en pleine tourmente monétaire, les capitaux quittent le pays, le rouble dévisse face aux grandes monnaies, la banque centrale russe tente de stabiliser les flux en relevant ses taux directeurs, en pure perte. Les grandes valeurs de la bourse de Moscou dévissent, et derrière ces grandes valeurs, il y a de grosses fortunes dont on peut penser que les commentaires arrivent aux oreilles de Poutine plus vite encore que ceux de Barack Obama. Si on prolonge l’incident, c’est une inflation qui risque de partir en flèche, des ruptures d’approvisionnement sur des importations essentielles, la population russe qui se pose des questions, bref, de quoi faire sérieusement réfléchir un dictateur avisé.
Et oui, ces mouvements de mondialisation dénoncés à longueurs de colonnes par les bien-pensants, sont en fait aujourd’hui fondamentalement vertueux. Ce sont les mêmes qui poussent Apple à relever les salaires à Shenzhen, les mêmes qui font plier l’industrie textile au Bengladesh ou permettent à la France de gérer pour une somme modique sa dette considérable
Et ce sont bien ces mouvements de mondialisation qui enlèvent même à Poutine l’arme du gaz. La révolution des gaz de schistes ne demande qu’à débarquer sur les côtes de l’Europe, sous forme de Gaz naturel liquéfié porté par des méthaniers géants. Gazprom le sait parfaitement, et réfléchira sans doute avant de couper le robinet, donnant ainsi à ses clients l’occasion en or de dénoncer des contrats de long terme un peu trop cher et d’aller s’approvisionner à bon prix sur le marché.
Le monde de la guerre froide était bien plus simple. Poutine peut tenter de le reconstituer par la politique et les armes. L‘économie elle va résister, et, disons-le brutalement, personne ne peut lui mettre un flingue sur la tempe