MEDEF: le peuple contre l'appareil
Patrick Bernasconi fera le roi. A moins qu’il ne le soit lui-même bien sûr. Mais les choses sont ainsi faites qu’on ne le pense pas, parce que lui-même reste ancré dans son prisme de négociations sociales, fondamental évidemment, mais insuffisant pour un rôle de président du MEDEF qui reste un rôle éminemment politique.
Mais alors, quelle force de conviction ! Hier à Bordeaux, les quatre candidats débattaient librement, débattaient vraiment, c’était la toute première fois. Et quand Patrick Bernasconi met sur la table l’ensemble de la stratégie qui a conduit à l’accord sur l’emploi, quand il décrit surtout ce que doivent être selon lui les prochaines étapes, on se dit que cet homme-là, cette expérience-là, est indispensable au mouvement patronal. « Vous me parlez d’une taxe supplémentaire ? » dit-il aux patrons qui contestent l’accord, « mais elle était déjà dans le programme de François Hollande. Quand on a commencé la négociation c’était un préalable, comme la taxation des contrats courts, j’en ai fait une monnaie d’échange, en inversant le rapport de force ». Et il poursuit sur sa conviction que les syndicats réformateurs sont prêts à aller plus loin encore, CFDT en tête, et qu’ils seront les premiers adversaires de la CGT et de FO pour peu que le MEDEF sachent bien les traiter, « ma première décision, si j’étais élu, ce serait de la faire venir chez nous, de les accueillir et d’écrire avec eux l’acte 2 de l’accord sur l’emploi, on peut aller très très loin »
On mesure les enjeux.
Va-t-il choisir l’un des deux poids lourds de la campagne ?
Parce que les patrons bordelais mettent un problème d’image au cœur de leurs préoccupations. Ils n’en peuvent plus de porter comme un boulet l’étiquette du MEDEF, ils veulent une rupture d’image. Un compromis d’ailleurs, on le comprend bien, quelque chose de radicalement en phase avec l’époque, mais qui n’oublie jamais les réalités des marges, des charges, du combat quotidien contre la conjoncture
On le sent parfaitement ce compromis quand Geoffroy Roux de Bézieux s’attaque au pré-financement du CICE. Histoire de dingue ça ! Oséo demande 3% de marge, comme une banque… pour distribuer l’argent de l’Etat aux entreprises les plus fragiles! Non mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Et c’est vrai qu’il a, là, la capacité de se tourner vers nous, les journalistes, et de nous convaincre qu’il y a un gros bug. Pierre Gattaz, lui, peut porter les succès incontestable de son entreprise, Radiall. Franchement, quand il égrène les noms de ses clients (de Boeing à Google, tout ce qui peut vous faire rêver en terme de puissance) on sent là aussi qu’il se passe quelque chose dans la salle, 80% de chiffres d’affaire à l’export avec une base industrielle en France.
On en est là. Pour l’aspect public, ouvert, démocratique de cette campagne. Le reste est plus obscur. Le secteur des assurances a choisi de voter Gattaz (alors que le prisme service le portait naturellement vers Roux de Bézieux), et l’on dit que c’est sous l’influence de Denis Kessler, l’ancien numéro 2, patron du réassureur Scor, qui se verrait bien dans un rôle de Mazarin patronal des temps modernes. On spécule sur ce pourrait dire, choisir Laurence Parisot dans les jours qui viennent (et si vous voulez que je vous emmène au cœur des confidences, on dit alors qu’elle reproche à Bernasconi de l’avoir trahi et qu’elle reproche à Gattaz le soutien… de Kessler) Bref, un appareil parisien qui, in fine, confisquerait dans les réseaux une campagne de terrain assez intense.
Ce serait terrible. Parce que, rendons lui hommage, quand Thibault Lanxade, avance l’idée de consulter, directement, sur des sujets essentiels, les 700.000 adhérents, 700.000 !!, peut-être 2 fois par an, on se dit qu’effectivement cette voix patronale là trouverait une sacré force médiatique. L’appareil en perdrait le contrôle ? A ce stade, c’est sans doute une mutation indispensable. Et si c’était l’enjeu le plus important de cette élection?