Le message de Renault: défendre l'emploi peut affaiblir l'industrie
Renault a envoyé un message passionnant hier: faites attention, loin de renforcer l'industrie, l'obsession de l'emploi peut la fragiliser.
C’est du billard. Mais Renault va permettre à bien des industriels de s’engouffrer dans la brèche: l’emploi ne doit pas être le but de la politique industrielle. Du billard, les déclarations des dirigeants de Renault hier: "Nous nous préparons au pire", dit Carlos Ghosn, pendant que son bras droit, Carlos Tavares, en charge notamment des opérations en France, évoque la possibilité d’un retour de la prime à la casse.
En fait, Renault se met en ordre de bataille pour affronter ce qui semble désormais inéluctable: la fermeture par PSA de l’usine d’Aulnay en région parisienne. Les dirigeants de la régie ont parfaitement compris qu’à l’ère du redressement productif on allait se tourner vers eux, leur reprocher sans doute leurs usines en Roumanie et au Maroc, et leur demander de supporter une partie du poids de la casse sociale. La prime à la casse que demande Carlos Tavares n’est pas une prime de consommation, c’est une prime industrielle.
La sidérurgie alerte aussi sur les surcapacités industrielles
Les surcapacités automobiles en Europe sont une réalité que partagent tous les constructeurs. Gaëtan Toulemonde, l’analyste de la Deutsche Bank, les chiffrait ce matin sur BFMbusiness à 5 à 7 millions de véhicules. L’industrie automobile européenne ne retrouvera jamais les volumes qui permettaient de justifier un tel outil. C’est une réalité que le pouvoir politique français a toujours eu beaucoup de mal à admettre. Le message de Renault, c’est que la bataille de l’emploi risque d’affaiblir ceux qui tiennent encore le choc.
Arcelor n’a pas les mêmes contraintes vis-à-vis de l’actionnaire public, mais est tout de même soucieux du climat autour de Florange, et ce matin, dans Les Echos, le message du patron de l’association européenne Eurofer va dans le même sens que celui des dirigeants automobiles: "L'Europe n'échappera pas à des fermetures définitives" dit Wolfgang Eder, qui précise, d’ailleurs, que son groupe à lui, Voestalpine, n'envisage pas de telles mesures. Manière de préciser, à ceux qui ne l’auraient pas compris, qu’il parlait bel et bien au nom de Mittal.
Regardez quelques secondes cette image:
Elle est là l’incarnation de la politique industrielle. Rien de flamboyant, c’est un "connecteur", fabriqué par Radiall. Il y en a 7000 comme ça dans un Boeing 787. Réalisé en composite, il allège à lui seul de plusieurs kilos le poids d’un avion. Un détail. Pas de vis, tout s’emboîte, se "clipse", gain de temps pour les équipes qui doivent le changer. Un détail. Son ergonomie le rend beaucoup plus fiable que les modèles concurrents. Un détail. Une somme de détails qui signent l’innovation, et qui seuls garantissent la solidité de l’outil industriel où qu’il soit.
Il est fabriqué par une boîte française, dans des usines françaises, et pourtant n’équipe pas Airbus. Parce que l’industrie est ainsi faite. Il est le fruit du travail d’équipes de recherches, de bureaux d’études nourris par les marges dégagées par l’entreprise, notamment grâce à une série d’implantations en zone dollar et dans les pays émergents pour réduire les coûts et se mettre au plus près des clients.
Ce sont ces réalités industrielles qu’il va falloir prendre en compte dans les mois qui viennent, pour résister à une pression sur l’emploi qui pourrait bien fragiliser l’ensemble du secteur. Regardez cette affaire Doux. Les détails viendront plus tard, mais il est inquiétant d'entendre Arnaud Montebourg reprocher un dépot de bilan, qui est un acte de gestion, dans l'illusion que l'intervention de la banque Barclays aurait permis de sauvegarder l'ensemble de l'outil de production. Protéger l’industrie et protéger l’emploi peuvent être deux objectifs contradictoires.
Ce qu'il faut retenirEn disant se "préparer au pire", Renault ne pense pas forcément au marché automobile, mais plus aux pressions politiques.
Les surcapacités industrielles dans le secteur automobile vont amener des décisions radicales sans doute rapides, Renault ne veut pas en porter le poids.
L'ensemble de l'industrie se met en ordre de bataille pour affronter une nouvelle vague de récession. La priorité donnée à l'emploi par les responsables politiques pourrait fragiliser le secteur.