Quand les salariés du CAC prennent le pouvoir
Épiphénomène ou nouvelle donne? En tout cas les actionnaires du CAC ne sont plus toujours en mesure d'imposer le patron
Ils sont 5, Ghosn, Viebacher, Frérot, Richard et Proglio, 5 patrons du CAC à remettre leur mandat entre les mains des actionnaires cette année. Pour Renault et Sanofi, les résultats suffisent (j'ai déjà écrit tout le bien que je pense de Carlos Ghosn, je ne l'ai pas fait pour Viebacher, or c'est encore plus spectaculaire. La façon dont le patron de Sanofi a pris une boite à l'agonie, a défini pour elle un plan stratégique limpide, l'a exécuté point par point sans aucune faille, sans rien en modifier parce qu’il n’y avait rien à modifier, pour, 5 ans après, redonner toute sa force à ce qui est à nouveau une big pharma conquérante, cette démonstration de force a peu d’équivalent dans le monde. Comme pour Ghosn la France n’y comprend rien. Mais ça n’a aucune importance)
Donc des résultats pour Renault et Sanofi, mais une situation bien plus compliquée pour Orange et Veolia. Et là les actionnaires grondent. Plus ou moins discrètement d’ailleurs.
Or dans ces deux entreprises, ce sont maintenant les salariés français qui apparaissent comme le soutien le plus efficace. On le sait depuis plusieurs mois en ce qui concerne Orange et la façon dont l’entreprise avait réagi à la mise en examen de Stéphane Richard. On le découvre autour de Véolia et la dernière tentative de déstabilisation du patron Antoine Frérot.
Pour Véolia c’est d’autant plus surprenant que ça se passait mal, très mal. Fin décembre, les syndicats réclamaient la démission du PDG et dénonçaient le « fossé profond entre les dirigeants et les salariés ». On reproche beaucoup de choses à Antoine Frérot, il répond qu’il n’a pas le choix, en gros il hérite d’une dette colossale, il doit la gérer à coups de restructurations et de cessions d’actifs.
Mais ce n’est pas ce qui m’intéresse. Ce qui m’intéresse c’est le changement radical de climat quand l’attaque vient de l’extérieur. Pourquoi les syndicats n’accueillent-ils pas le putschiste David Azéma (profil très service public, ancien directeur financier de la SNCF, patron de l’agence des participation de l’Etat) les bras grands ouverts ? Réponse : « parce qu’il n’est pas de chez nous » et accessoirement parce qu’il est poussé par Dassault, dont la seule préoccupation est financière (Dassault veut se débarrasser de sa participation, mais voudrait pouvoir le faire au meilleur cours possible)
Et c’est bien là que l’on peut commencer à s’inquiéter. Remarquons que Ghosn et Viebacher, impeccables dans leur stratégie, ne font pas l'unanimité dans leur boite (litote). Et l'on réalise alors que ce n’est pas la défense de patrons exceptionnels qui motive les défenseurs du statu quo, mais bien la peur de l’inconnu, alors qu’ils savent pourtant qu’ils ont besoin d’un électrochoc. C’est vrai chez Véolia, c’est criant chez Orange. Le groupe est tétanisé devant l’avenir, et on le comprend. En soutenant Stéphane Richard il ne cherche pas à construire quoi que ce soit, il ne cherche qu’ à se rassurer. Ce n’est évidemment pas une bonne nouvelle pour l’avenir de ces entreprises, sans compter que ça donne à la France un poids d’influence démesuré au regard de ce que le pays représente dans l’activité des groupes (même si Véolia et Orange sont encore très français). On pourrait enfin ajouter les trop généreux dividendes versés pour consoler les actionnaires défaits
Qu'en sera-t-il pour EDF? Je vais vous faire un aveu, je n'en sais rien. Cette entreprise est un bunker depuis trop longtemps pour que l'on puisse facilement décrypter les signaux que l'on perçoit de temps en temps (ce qui provoque un autre problème d'ailleurs: le pataques permanent d'informations bidons autour des décisions nucléaires)
Ce n’est pas à proprement parler un fait nouveau, on se souvient comment Xavier Huillard s’était appuyé sur le corps social de l’entreprise Vinci pour faire tomber Antoine Zaccharias, mais la multiplication des cas va amener des questions intéressantes.
Parce qu’à priori on se dit qu’il est vertueux que les salariés prennent le pas sur les actionnaires financiers. Mais à y regarder de plus près, à constater que ces salariés forment une pyramide des âges inversée (bien plus de vieux que de jeunes), qu'ils restent souvent dans des attitudes d’administration privée issue de groupes qui ont été à un moment ou à un autre dans le giron public, qu’ils sont encore déstabilisés par la techno et la mondialisation, on se demande si notre puissant CAC ne va pas commencer à y perdre de sa superbe