Silence dans les rangs du MEDEF ? Surtout pas !
La lettre invraisemblable de Pierre Gattaz demandant à Laurence Parisot de se taire. Le patron du MEDEF doit lui aussi, d’urgence, prendre la mesure de sa fonction, celle du représentant de l’entreprise du XXIème siècle
J’en suis tombé de ma chaise, quasi physiquement, quand j’ai vu le truc ce matin. Pierre Gattaz demande à Laurence Parisot de se taire, il l’appelle au devoir de réserve, en tant que présidente d’honneur du MEDEF, puisqu’il paraît qu’elle est aujourd’hui parée de cette fonction
D’abord c’est idiot. Evidemment on n’a pas fini d’entendre Laurence Parisot. Elle pourrait même s’amuser à davantage encore de provocation
Mais c’est plus grave, c’est d’une maladresse telle qu’il faut en tirer vite la conclusion qu’en l’état actuel des choses Pierre Gattaz n’est pas à la hauteur de sa fonction. Lui non plus.
Hier, Jean Jacques Bourdin posait la question à François Hollande, en toute franchise, et le président répondait très justement : « c’est aux Français d’en juger ».
Le MEDEF c’est autre chose. C’est un statut bien plus qu’une élection. Il proclame 700.000 adhérents. Bon. Pourquoi pas. Déjà sur 3 millions d’entreprises ça ne fait pas une majorité, mais bien plus, le président du MEDEF n’est pas vraiment élu, plutôt désigné, après de longues et savantes discussions entre les différentes branches, tout cela étant arbitré par des barons plus ou moins légitimes
Ce statut il faut en être digne. En détaillant hier les éléments de sa rémunération Pierre Gattaz l’a été. Il faut aller lire son texte, c’est exemplaire. On crée la richesse et on la partage, on la partage à la mesure des risques et des responsabilités (bon, on aura toujours un problème avec l’héritage, mais les choses sont ce qu’elles sont) dans une échelle de salaires réduite à 10 échelons (pour tout vous dire je n’en sais rien, simple supposition de ma part que les salaires chez Radiall doivent démarrer à 2 SMIC) .
Et ça n’est évidemment pas contradictoire avec les appels à la modération salariale. Parce que Radiall pète la forme, alors que des entreprises en souffrance restent sous la pression de salaires qui augmentent plus vite que la richesse produite.
Et là encore, quand il rappelle que les salaires n’ont cessé d’augmenter depuis le début de la crise, Pierre Gattaz est dans son rôle, briser les tabous, mettre sur la table les sujets dont personne n’ose parler, le SMIC jeune en fait évidemment partie.
Mais qu’il laisse se développer un débat responsable ! L’immense mérite de Laurence Parisot, et c’est en cela qu’elle nous est indispensable, qu’elle invente une nouvelle fonction, un nouveau rôle, c’est d’offrir une voix d’entreprise différente.
Dans tous les pays du monde, les patrons participent directement au débat politique. Chez nous non. Parce qu’ils sont systématiquement caricaturés et ramenés vers les sujets anecdotiques qui font le buzz du moment. Et donc on se retrouve dans une logique binaire MEDEF contre CGT. Emballez c’est pesé ! Et c’est la lutte des classes tous les matins au réveil.
Laurence Parisot nous permet d’en sortir, comme François Chérèque pourrait le faire s’il ne s’imposait pas, justement, un devoir de réserve contre productif, comme Louis Gallois l’a fait. Quand on n’a plus les mains dans le cambouis, on réfléchit autrement, on n’a plus de clientèle à servir, bref, on peut servir le débat et la modernisation dans les têtes, parce que l’on continue à parler le langage de l’entreprise, la grammaire de l’économie de marché, la syntaxe de la création de richesse.
Cette voix est portée par une femme. Or je vais vous dire la réalité : je suis sollicité régulièrement par tous les organismes sociaux professionnels qui cherchent des femmes pour accompagner leurs organes de direction. On ne les trouve pas. Celles qui jouent le jeu sont tellement sollicitées qu’elles n’en peuvent plus. Et il faudrait faire taire l’une des rares qui veut s’exprimer ?
Pierre Gattaz ne peut pas avoir la nostalgie du CNPF à la papa derrière lequel se rangeaient le banc et l’arrière banc de l’entreprise.
C’est mort ! Fini ! Mais c’est tellement évident que la lettre en est incompréhensible. A moins d’en revenir au début. Pierre Gattaz n’a pas encore tout à fait compris ce qu’il représentait. L’entreprise du XXIeme siècle, celle qui pratique le management horizontal, la structure en mode projet agrégeant tous les services et tous les talents, l’expression libre et les réseaux d’entreprise, celle qui accueille la génération Y, ces gamins insupportables qui ont toujours un truc à dire mais sont capables de se défoncer jour et nuit dès qu’ils sont convaincus.
M. Gattaz, l’entreprise qui demandait le silence dans les rangs est morte depuis longtemps. C'est Toyota qui l'a tuée. Je crois que c'est votre modèle