Uramin, où est le scandale?
Facile de réécrire l'histoire. Facile de donner des leçons avec 7 ans de recul. La réalité de l'époque semble pourtant bien loin des scandales maintenant dénoncés
« Il fallait assurer l’approvisionnement du pays, cette priorité supplantait toutes les autres. Alors bien sûr on peut discuter du prix, mais à aucun moment je n’ai eu le sentiment d’être trompé »
Christian Bataille est à l’assemblée l’un des meilleurs connaisseurs des affaires nucléaires. On peut même dire qu’il est porte-parole assumé de cette industrie, et il nous donne de ce qu’il faut appeler « l’affaire Uramin », une autre vision que celle des procureurs qui remplissent les pages des journaux depuis des semaines.
Le scandale Uramin ? Je vais vous le faire en bref : comment un patron décide de passer en force sur un enjeu stratégique face à des actionnaires évanescents.
Fascinant de lire les phrases définitives des uns et des autres, réécrivant en 2014 une histoire qui date de 2007.
Or c’est quoi 2007 ? C’est avant la tempête parfaite qui va se lever sur le nucléaire, crise mondiale, puis Fukushima. 2007 c’est la course effrénée aux matières premières. On raconte à longueur de colonnes les batailles titanesques à coups de dizaines de milliards de dollars pour les gisements de minerai. Dans cette course les industriels réalisent qu’ils peuvent devenir otages des producteurs, et Mittal par exemple accélère son intégration : je veux faire de l’acier, il me faut du fer et je dois contrôler des mines. Il va les payer une fortune. Comme tout le monde.
Areva est en retard dans cette course, parce que son actionnaire public n’arrive pas à se décider. A trois ou quatre reprises elle voit lui passer sous le nez les gisements les plus intéressants. Le cycle de prise de décision à travers l’Agence des participations de l’Etat est beaucoup trop lourd pour cette époque de folie. D’ailleurs, des aventuriers commencent à prendre des risques importants pour rafler les actifs et les revendre dans la foulée. C’est le cas d’Uramin.
Le choix est alors simple, soit on achète cher, sans grandes certitudes sur le potentiel, soit on décide de faire un trait sur le contrôle d’une partie de notre approvisionnement. Quand on parle des 2/3 de notre capacité électrique, avouez que le choix est tendu
Et là, c’est vrai qu’Anne Lauvergeon va sans doute forcer la main à un actionnaire public qui n’arrive pas à se décider. Dans quelles proportions exactes ? Les rapports définitifs le diront. Mais enfin, que cherche-t-on de plus que ce qui a été écrit en février 2012, sous la plume de René Ricol, qui ne portait pas particulièrement Anne Lauvergeon dans son coeur et n'avait relevé que "des dysfonctionnements en matière de gouvernance"
Car c’était une course vécue à l’époque, partout dans le monde, comme une course indispensable à la poursuite de la croissance. Replongez dans le détail de l’affaire, Uramin fait une première offre en octobre 2006 à 471 millions de dollars, avant de se rétracter devant, justement, l’envolée des cours. Dans un document, révélé il y a plus de 2 ans par Challenge, on peut lire cette phrase qui résume parfaitement l’ambiance de l’époque : la direction d’Uramin « veut laisser l’histoire murir avant de continuer des discussions détaillées (…) durant cette période nous ne pourrons pas signer un accord exclusif avec Areva, mais nous ne chercherons pas activement une transaction alternative ». bref, on va s’enrichir en dormant. Banco, ils vendront finalement 4 fois plus cher.
Est-ce qu’on peut se souvenir de ce qui s’écrivait alors sur la croissance chinoise ? Sur le super-cycle des matières premières (on promettait une progression des cours permanente et stratosphérique) ? Les cours de l’uranium s’envolaient, qu’auraient-on dit si Areva, alors, n’avait pas investi?
La crise mondiale va durablement briser le super-cycle et Fukushima va faire plonger les cours de l’Uranium dans les abysses. Areva va déprécier, comme tous les géants miniers, et dans les mêmes proportions (Lauvergeon a-t-elle fait trainer l’affaire en espérant un renouvellement de son mandat ? Peut-être. Est-ce un motif suffisant pour mobiliser la cour des comptes ? Je vous laisse juge)
So what ? Il aurait fallu le prévoir ? Ben voyons. Personne n’avait prévu. Mais surtout qui vous dit que ce sera considéré comme une erreur dans 20 ans ? Parce que le minerai il est bel et bien là. Les tonnages estimés ont été confirmés. N’est-ce pas l’essentiel ? Ça me fait penser à Christian Estrosi fustigeant publiquement en 2009 les dirigeants de Renault de continuer à travailler sur des projets de 4X4, le Captur est aujourd’hui l’un des modèles les plus rentables du groupe. L’industrie ce n’est pas une affaire de mode.
Que la cour des comptes fasse son boulot, aucun problème. Mais que ceux qui embrayent derrière n’aient pas le discernement de remettre les choses dans leur contexte est plus embêtant. Or ce contexte en dit énormément sur l'affaire. Que ceux qui embrayent oublient que ce dossier a émergé il y a deux ans, porté par des branquignols qui avaient mis le mari d’Anne Lauvergeon sur écoute (le procès s'est tenu la semaine dernière), est encore plus embêtant. Or cette rocamboloesque affaire devrait disqualifier un certain nombre de ceux qui ont porté le dossier du "scandale uramin". Enfin, que jamais on ne précise que ces accusations ressortent au moment où l'on entre dans la dernière ligne droite de la campagne pour le renouvellement du mandat du patron d'EDF, devient franchement troublant.
Coincidence? Sans doute. Je professe assez l'adage "entre machiavélisme et connerie, choisissez souvent la deuxième option" pour devenir complotiste à mon tour. Mais avouez que des fois, ça démange.