Joëlle Tubiana, Associée KPMG « La transmission des entreprises familiales enfin simplifiée ? »
Dans le jeu des entreprises familiales, la règle la plus lourde a toujours été celle de la transmission. Donation ou succession, la fiscalité comme les procédures restent des barrières puissantes, que le pacte Dutreil a en partie levées. La loi PACTE devrait confirmer, voire amplifier cet indispensable allègement.
Si vous dites à un entrepreneur que sa société, évaluée à 2 M€, sera transmise à ses enfants moyennant des droits de 617 000 € (31%), il préfèrera sûrement opter pour une cession au profit d’un inconnu. En revanche, s’il utilise le dispositif prévu dans le pacte Dutreil-transmission, instauré en 2003 pour alléger cette fiscalité pouvant atteindre 45%, il bénéficiera d’un abattement de 75%. Une décote supplémentaire de 50% peut être appliquée s’il effectue une donation en pleine propriété de ses titres avant ses 70 ans. Au total, et par le jeu des barèmes d’imposition, il ne versera aux impôts que 39 000 €.
La force de l’économie mondiale
Selon le baromètre annuel réalisé par KPMG, l’impact des entreprises familiales est évalué à plus de 70% du PIB mondial. En Europe, on en dénombre plus de 14 millions, soit 60% des entreprises. Selon la Commission Européenne, elles concentrent plus de 60 millions d’emplois, la moitié du total. Certains pays européens pointeraient à 90% d’entreprises familiales et aux états-Unis, ce serait 95%.
Une faiblesse à la française
En France, seules 12% des entreprises familiales le sont encore à la troisième génération et 4% à la quatrième. En cause, la fiscalité, car la mise en place du pacte Dutreil est contraignante, voire méconnue. « Elle consiste à conclure un engagement collectif de conservation des titres pendant au moins deux ans, suivi d’un engagement individuel de quatre ans après transmission, résume Joëlle Tubiana, par ailleurs membre du Centre d’excellence mondial dédié au Family Business. Beaucoup d’entreprises ne l’utilisent pas. Soit par absence de conseiller et ignorance du dispositif, soit par peur d’une procédure compliquée qui, de surcroît, peut se voir invalidée et déboucherait sur une facture qui nuirait à la pérennité de l’entreprise. » D’où le fréquent report de la transmission ou une préférence pour la cession.
Un conseil de famille bien (en)cadré
Le processus doit distinguer entre la transmission des titres et celle de la direction. Valorisation d’un côté, gouvernance de l’autre. Il faut identifier qui dirigera l’entreprise - ce peut être une personne extérieure - et définir comment la gouvernance sera adaptée. « Il est important d’établir une charte familiale qui définisse les valeurs de la famille et sa vision à long terme de l’entreprise, ainsi qu’un certain nombre de règles telles que les conditions de cession des actions au sein de la famille ou à l’extérieur. Ces règles permettront de prévenir les conflits et de définir la manière dont seront résolus les éventuels différends. C’est aussi le rôle de KPMG de faciliter ce travail et d’assister la famille dans toutes les étapes du processus de transmission. »
Pour ne pas perdre nos fleurons…
Sans le pacte Dutreil, une transmission n’est donc pas financièrement raisonnable. « Ce pacte a été créé parce que les entreprises, ne pouvant être transmises à la famille pour des raisons de coûts trop élevés, étaient cédées à des groupes, souvent étrangers. La France risquait de perdre ses fleurons. Le pacte a rendu possible la transmission de belles ETI, à l’instar de l’Allemagne ou de la Suède où les lois très favorables permettent cette transmission », commente Joëlle Tubiana. La nouvelle loi PACTE devrait encore simplifier le système.