L’utilisation des datas par les entreprises doit viser des projets clés
Julie Caredda (Associée KPMG, Data & Analytics – Intelligence Artificielle)
En un temps record, les datas ont envahi notre espace personnel et professionnel. La digitalisation galopante de notre économie les utilisant comme carburant, encore faut-il que son insondable gourmandise soit canalisée. Du bon usage de nos données très personnelles…
Mais à quoi peuvent servir ces milliards d’informations qui racontent notre vie, nos habitudes, nos passions et nos travers ? Nous épier, nous harceler, nous tracer, nous disséquer ? Ou nous servir ? Julie Caredda remet les choses au point…
Pourquoi les entreprises ont-elles tant besoin de nos données ?
"Pour se développer. Les données sont un actif au service de la croissance qu’elles utilisent aujourd’hui en priorité pour mieux comprendre les comportements de leurs clients et développer de nouveaux services ou produits. Elles contribuent à l’amélioration de la performance et à la réduction des coûts. Elles permettent également de détecter et réduire les risques internes et externes à l’entreprise."
Sans ces données, les entreprises ne peuvent donc pas exister ?
"C’est un risque si elles n’ont pas déjà engagées une démarche d’analyse de leurs données. Mais tout dépend de l’activité. Les bureaux d’étude sont, par exemple, moins exposés à ce risque que les sociétés en relation directe avec des consommateurs. En effet, en BtoC, la question ne se pose même pas : la connaissance du marché est prioritaire et passe notamment par ces datas. Même les entreprises BtoB déploient de plus en plus des projets visant à mieux connaitre leurs clients finaux et donc à capter ces données clés qui aujourd’hui sont entre les mains des réseaux de distribution. Je pense par exemple à la Française des Jeux, à L’Oréal, aux banques ou aux assurances qui élaborent des stratégies digitales pour mieux les connaître, comprendre les déclencheurs d’achat, les habitudes de demain."
N’y a-t-il pas une course folle à l’obtention des données ?
"KPMG a mené récemment une enquête autour des sujets datas. Plus d’un tiers des projets portent sur la robotisation et l’intelligence artificielle, machine learning et deep learning, grandes consommatrices de données. Nous notons également que ces mêmes entreprises, depuis deux à trois ans, recentrent leurs projets d’investissement sur les données et l’IA, prioritaires pour leur stratégie. À l’éparpillement des projets tests (Proof Of Concept) succède une stratégie de ciblage sur le marché visé, sur les valeurs recherchées, avec une concentration de l’investissement sur des projets clés."
… qui demande des ressources…
"Des portefeuilles d’innovation sont mis en place dans les entreprises pour analyser, prioriser et piloter la valeur créée par ces projets. La question du "make or buy" reste sous-jacente : faire soi-même ou acheter à l’extérieur ? Les grands groupes possèdent les ressources pour analyser ces données et construire de l’IA : les données, les moyens financiers, parfois les compétences en interne et les technologies. Faire soi-même, c’est s’assurer une plus grande maîtrise de la chaine de valeur et de la collecte des résultats d’analyse. Par extension, c’est donc aussi sécuriser les décisions prises à partir desdites données. Néanmoins, cette démarche est longue à faire aboutir de par l’organisation existante et la difficulté à faire évoluer rapidement les modèles. Par manque de moyens, PME et ETI auront, elles, intérêt à mutualiser leurs efforts, en achetant les solutions déjà existantes. Elles gagnent en rapidité et en agilité de mise en œuvre, mais avec l’inconvénient d’une moins bonne maîtrise de la source des données, des algorithmes utilisés et de la pertinence des résultats."
Comment se prévaloir des risques sur l’efficacité ou l’exploitation abusive des données ?
"En commençant par bien lire le contrat, en échangeant avec les fournisseurs sur la conformité aux règles RGPD*, en sachant à quelle fréquence les algorithmes sont mis à jour, en gardant un œil critique sur les résultats. Comment les données sont protégées, conservées, archivées…"
* Règlement général sur la protection des données, en vigueur le 25 mai 2018.
L’intelligence artificielle semble poser d’autres urgences, au point que la technologie nous échappe…
Avec l’intelligence artificielle évoluée, dans plusieurs dizaine d’années,le robot élaborerases propres règles. La mise en œuvre d’une gouvernance sur la création, la vérification et l’utilisation des résultats construits par l’IA est un enjeu clé au sein des organisations. Il sera de plus en plus difficile de comprendre le raisonnement de l’IA produite à partir du Deep learning. Rappelez-vous l’histoire d’AlphaGo. Le Go est un jeu uniquement intuitif, au contraire des échecs. En 2016, la machine AlphaGo a battu le champion du monde, Lee Sedol. Nous sommes aux prémices d’un raisonnement qui fait appel à l’intuition, au-delà des règles du jeu ! Nous avons plusieurs années à venir devant nous avant d’avoir une IA capable de raisonner comme un humain. Mais d’ici là les entreprises doivent se préparer. Celles qui sauront préparer leurs équipes à travailler dans un environnement en constante évolution et en complémentarité de l’IA se différencieront."