« La démocratie sociale,
nouvel enjeu de la transformation des entreprises »
Pierre-Laurent Seguin, Directeur KPMG, en charge des activités Transformation & Stratégie sociale
L’actuel bouleversement des modèles économiques produit ses effets à toutes les strates de la vie de l’entreprise. Il touche à la nature du travail, influe sur le capital humain, notamment. L’ampleur des transformations qu’il induit est un appel d’air pour un dialogue social plus ambitieux, où l’ensemble des parties prenantes, sans exclusion, pourront exprimer et mieux défendre leurs intérêts.
Depuis la loi El Khomri et les ordonnances Macron, les règles uniformes édictées jusqu’alors par le législateur ont vocation à être remplacées par celles qui seront directement négociées par les acteurs dans l’entreprise. L’enjeu est de faire du dialogue social un moyen d’ajustement plus efficace sur le plan économique, mais aussi plus acceptable sur le plan social.
La négociation sociale, outil de performance globale ?
"Pour être performante, dit Pierre-Laurent Seguin, l’entreprise doit pouvoir s’ajuster rapidement et efficacement aux chocs économiques et aux profondes transformations de ses métiers sous peine de se voir exclue de ses marchés. Mais cela ne suffit pas. Elle doit aussi assumer, voire développer sa responsabilité sociale si elle veut attirer et retenir les talents et les compétences nécessaires pour pérenniser ses performances. Quoi de plus approprié que le dialogue social pour traiter sur la durée des problématiques aussi complexes ?" Lorsqu’elle considère les attentes des salariés, la négociation peut être un investissement bénéfique pour tous les acteurs concernés : gains de productivité, aménagement du temps de travail ou recul de l’absentéisme d’un côté, adaptation des systèmes de rémunération, accroissement de l’employabilité et de l’effort de formation de l’autre.
S’adapter à chaque entreprise
À l’exception de 13 sujets sensibles (salaire minimum, protection sociale complémentaire, travail de nuit…) pour lesquels seule la branche professionnelle est habilitée à édicter les règles applicables aux entreprises relevant de son champ d’application, tous les sujets peuvent désormais faire l’objet d’un accord collectif d’entreprise. La nouveauté, c’est que le législateur intervient moins directement et laisse les acteurs s’emparer des sujets qui les concernent. Il n’en oublie pas pour autant de conserver des garde-fous par le biais des règles dites "supplétives" en deçà desquelles les accords ne sont pas licites (le taux de majoration des heures supplémentaires, par exemple, ne peut être inférieur à un certain plancher).
Mieux anticiper les ruptures
Le dialogue social doit permettre aux entreprises de définir des règles plus adaptées à leurs spécificités économiques, sectorielles, géographiques ou sociales. L’intérêt : éviter les décisions brutales, les fermetures de site sans préparation ni transition, les licenciements sans accompagnement adapté… "L’heure est à l’anticipation pour trouver ensemble et à temps des solutions, explique Pierre-Laurent Seguin. Il ne s’agit là ni de co-gestion ni de co-décision, mais plutôt de permettre par la négociation sociale l’expression des besoins de tous pour que les mesures mises en œuvre ne soient pas, comme avant, totalement imposées sans anticipation et sans concertation, avec à la clé des catastrophes économiques et sociales."
Une négociation ouverte à tous
Dans un contexte où les règles seront davantage produites par la négociation qu’imposées par la loi, il fallait bien rendre celle-ci accessible à tous ceux qui en étaient exclus jusqu’à présent, comme les TPE/PME ou les entreprises dépourvues de délégué syndical, jusqu’alors seul habilité à signer des accords. "La négociation est désormais ouverte à d’autres acteurs que les syndicats, ajoute Pierre-Laurent Seguin. On peut ainsi aujourd’hui recourir au référendum d’entreprise et aux représentants élus du personnel." De manière générale, dès lors que l’accord d’entreprise devient la règle, se pose la question de la légitimité des accords conclus. "Quand 8% seulement des salariés français sont syndiqués, comment sont représentés les 92% restant ? De même, la moitié des salariés français travaille dans une entreprise de moins de 50 salariés et parmi ces entreprises, seules 4% ont un délégué syndical. Pour tous ces salariés, la négociation peut désormais s’ouvrir."
Des idées partagées par tous
Selon l’étude KPMG menée avec l’IFOP, 82% des dirigeants et DRH considèrent que les conditions d’un dialogue social constructif sont actuellement réunies dans leur entreprise. Et parmi eux, 84% attribuent ce succès aux bonnes relations qu’entretient la Direction avec ses partenaires sociaux (syndicats, CE, CHSCT…). Et si de nombreuses PME n’ont pas les compétences pour mener cette transformation sociale, elles disposeront d’un nouvel outil créé par les ordonnances Macron, l’Observatoire d’analyse et d’appui au dialogue social et à la négociation, qui centralisera et publiera les accords signés. "Tous les dirigeants pourront y puiser des idées. On peut espérer que cela les aidera à construire les fondations de leur propre dialogue social futur", conclut Pierre-Laurent Seguin. Le terrain semble ainsi dégagé pour permettre des négociations de qualité au service de la performance des entreprises.