« La digitalisation redistribue toutes les cartes de l’entreprise »
Jean-David Aurange (Associé KPMG, responsable des activités People & Change en France) et Christian Darvogne (Associé KPMG, cofondateur et président de Carewan by KPMG)
La transformation digitale révolutionne la planète et nul ne peut encore mesurer l’ampleur de ses répercussions sociétales. Une chose est sûre : elle chamboule l’organisation des entreprises, remodelant en particulier les schémas traditionnels des ressources humaines.
Deux chiffres illustrent la préoccupation des grands patrons. Selon une récente étude KPMG, 47% des dirigeants (Fortune 500 et CAC 40) se disent préoccupés par l’impact des technologies digitales sur l’évolution de leur marché. Et 61% très inquiets de leur capacité à mettre en œuvre un nouveau business model. Face à eux, des start-up innovent en rupture avec le présent, des PME et des ETI s’adaptent en souplesse.
Une accélération du changement
"Il y a une décennie, le digital pour l’entreprise se focalisait principalement sur l’IT avec le "Clould Computing", raconte Jean-David Aurange. Puis, dès 2014, il a laissé place au marketing digital avec un centrage fort sur le client et s’est manifesté par la création des postes de CDO "Chief Digital Officers" dans les entreprises. Depuis deux ans, on assiste à la transformation globale de l’entreprise." Le tout combiné, l’entreprise fait face au phénomène de l’expérience client augmentée : "La digitalisation oblige toutes les fonctions de l’entreprise, y compris le back office, à être plus agiles et à se tourner vers le client. On parle d’entreprise connectée". Autrement dit, la digitalisation conditionne sa survie.
Attention aux attentions !
Pour relever le défi, Jean-David Aurange évoque ‘la symétrie des attentions’ : l’expérience employé doit atteindre le même niveau que l’expérience client, condition aujourd’hui nécessaire si l’on veut que les talents de l’entreprise, tous métiers et fonctions confondus, soient à même de délivrer un service de qualité au client final. De même, "la digitalisation de l’entreprise réforme les méthodes et entraîne de nouveaux modes, télétravail ou travail collaboratif ; elle permet de partager l’information", ajoute Christian Darvogne, fondateur de Carewan by KPMG, spécialiste du management de la transformation, qui vient de rejoindre KPMG.
Travailler, mais ensemble
Ce digital working permet d’associer dans la chaîne de valeur non seulement les salariés de l’entreprise, mais les fournisseurs et les prestataires. "C’est une révolution dans notre conception de l’entreprise. Elle génère de l’open innovation quand nous avions avant de l’innovation fermée", constate Christian Darvogne. Désormais, le salarié veut être acteur de son entreprise et de plus en plus de grands groupes créent une perméabilité entre l’interne et l’externe : "La digitalisation renouvelle notre vision de la production. Le client co-construit sa consommation avec l’entreprise et demain, il visitera l’usine qui fabrique ce qu’il achète." Et cela change tout.
Tous impliqués, tous DRH !
L’entreprise s’adapte et pour les dirigeants, l’enjeu majeur porte sur la transformation humaine et organisationnelle qui doit permettre à tous les services de travailler non plus en silo, mais en mode transverse. La DRH s’en trouve impactée au premier chef. En homme d’expérience, le fondateur de Carewan ajoute : "Chacun doit être un peu DRH. Avec la digitalisation, le salarié gère lui-même son temps, ses compétences et participe à la réalisation de ses propres demandes."
L’évolution des compétences face au digital.
La robotisation et l’intelligence artificielle s’invitent dans tous les métiers, obligeant à une redistribution profonde des compétences. "à cet égard, le processus du ‘workforce planning’ permet d’identifier les compétences et les effectifs dont l’entreprise aura besoin demain, précise Jean-David Aurange. Cela implique une anticipation sur les emplois de demain, puis un accompagnement dans la durée pour combler l’écart." Pour les RH, cela nécessite de pérenniser ce process, et de mettre en place une ingénierie à grande échelle de parcours de formation, de mobilités professionnelles, de filières métier, avec une implication renforcée sur le champ social.
Des solutions individuelles
Automatiser les tâches ingrates pour redonner de l’air et du sens aux relations humaines, c’est la course actuelle des grands groupes face aux start-up. Mais le modèle universel d’adaptation n’existe pas : "Chaque entreprise a sa culture, dit Jean-David Aurange. Certaines sont très orientées sur les processus, moins sur les interactions humaines. Pour d’autres, c’est l’inverse. Le rôle de KPMG est de générer une prise de conscience chez les dirigeants, de les aider à trouver cet équilibre dans leur transformation, puis de les accompagner dans sa mise en œuvre." Christian Darvogne ajoute : "Nous ne sommes pas un distributeur de solutions. Chaque entreprise doit inventer son propre modèle de management. À nous de le co-construire avec elle en apportant notre expertise."
Sortir du lot grâce à l’humain
Face à la redistribution des cartes, les grands groupes ont besoin de tisser des liens avec les start-up pour avancer, comme ils ont besoin d’en renouer avec leurs collaborateurs. "La logique de coût n’est plus la seule valable et les entreprises qui mettront la performance humaine au cœur de leur transformation feront la différence. Celles qui créeront une confluence entre leur positionnement sur le marché et leur manière de travailler gagneront", conclut Christian Darvogne.
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