« La France a une carte à jouer dans le déploiement des Deep Tech »

Georges Gambarini (Responsable National du Marché des Entreprises de Croissance – Spécialiste Innovation & Fundraising, KPMG)
Nouveau fer de lance de la révolution numérique, la Deep Tech* est le fruit d’une convergence entre les technologies, une nouvelle étape née de leur maturité. À la fois disruptive et combinatoire, les Deep Tech investissent tous les pans de l’économie et ouvrent un champ des possibles… aujourd’hui encore impossible à délimiter.
Tout a commencé avec une vague Low Tech. C’était il y a presque dix ans, une éternité à l’échelle de la révolution technologique que nous traversons depuis l’avènement d’internet. Si cette dernière a toujours cours, les Uber et autres Blablacar l’utilisant pour déployer des modèles disruptifs sur des marchés existants, elle est bel et bien ancienne. Car le monde de la Tech avance vite : "Nous sommes à la croisée des chemins : d’un côté, nous consolidons la Low Tech et ses modèles dits communautaires, de l’autre, nous vivons une convergence de maturité des technologies Deep Tech qui ouvrent le champ à de nombreuses innovations de rupture qui auront un impact sociétal très important", explique Georges Gambarini.
Un nouveau paradigme impactant l’entreprise et la société
Cette convergence génère de nouveaux usages, ouvre des horizons. La Deep Tech s’est construite sur la base d’un paradigme inédit, sur un modèle et une dimension inconnus mais au potentiel phénoménal. Georges Gambarini ajoute : "On estime que dix à quinze technologies vont fortement impacter nos sociétés et la plupart sont combinatoires. La Blockchain se combinera par exemple avec l’intelligence artificielle et l’internet des objets. Nous entrons de fait dans une nouvelle révolution de l’utilisation, de la valorisation et de la transmission des données et de l’information. Le champ des applications est large et l’impact potentiellement énorme, notamment pour les entreprises de secteurs matures comme l’industrie automobile, l’assurance…"
Apprendre à intégrer les nouveaux usages
Illustration de ces usages avec l’Insurtech : "Dans ce métier, l’intelligence artificielle transforme, grâce à des algorithmes sophistiqués, la manière dont les assureurs détectent les fraudes, évaluent le niveau de risque d’un client et gèrent les sinistres", explique Georges Gambarini. En somme, la Deep Tech renouvelle la manière dont l’offre est produite : elle ne changera pas seulement les modèles économiques, elle impactera nos sociétés et nos modes de production. Son impact sera par exemple majeur sur nos modes de mobilité, notre gestion énergétique, nos modes d’enseignement, notre santé. Le défi sera d’apprendre à les intégrer à notre quotidien, tout en se préservant d’une intrusion systématique dans nos vies privées.
Les corporates en pointe dans le financement
Signe de la santé florissante des Deep Tech, les investissements qui leur sont consacrés dans le monde : selon KPMG, ils ont triplé en trois ans pour les seules technologies de l’intelligence artificielle et du machine learning (1 Md$). "Le ticket moyen augmente et il est deux fois plus élevé que celui de l’investissement global dans les start-up", relève Georges Gambarini, qui identifie trois points communs aux Deep Tech : des besoins financiers très importants, des temps de développement longs (dix ans), une conversion industrielle plus complexe mais aux impacts potentiellement énormes. "La Biotech, par exemple, mobilise d’importants financements sur le long terme qui pour être efficaces doivent être assurés par un croisement public/privé/corporate. Les corporates, par leur vision métier, vont jouer un rôle critique dans la mise en œuvre de ces investissements, ils sont les plus à même d’évaluer la valeur d’usage de ces technologies très complexes sur leur marché." En ce sens, ils sont, à terme, des acquéreurs naturels pour ces sociétés.
Les limites du système
Qu’il s’agisse d’amorçage ou de développement, la Deep Tech en France se heurte à son financement. "La France est une terre d’expérimentation et de recherche fondamentale, pas forcément de développement ou de recherche applicative. Nous manquons d’investisseurs de long terme et le relais des corporates est encore insuffisant pour des tours de table à plus de 50 M€. Nous devons chercher du financement chez ceux qui peuvent attendre un retour sur investissement plus long, et ce sont souvent les grands comptes. Cela dit, il y a 5 ans il n’y avait pas grand-chose ! Les marchés aujourd’hui se restructurent massivement, nous changeons la taille de nos fonds, nos stratégies d’investissement, nos politiques publiques, nous sommes à un tournant."
Les nouveaux enjeux nés de la Deep Tech
La France a une carte à jouer dans le déploiement des Deep Tech, notamment en matière de Blockchain, d’intelligence artificielle et de machine learning. Pour cela, elle devra accompagner ses start-up jusqu’à l’âge adulte, sous peine de les voir migrer vers d’autres frontières. Cela passe, entre autres, par le maintien de l’implication de l’état, via Bpifrance ou par les 10 Md€ du Fonds pour l’Innovation créé en janvier 2018. Cela passera également par une continuité dans le processus de montée en maturité de notre écosystème d’investissement en capital risque et capital développement. Enfin, une politique d’investissements européens, trop embryonnaire à ce stade, contribuera au succès continental sur des thématiques aux enjeux mondiaux.
* Les Deep Tech sont un ensemble de technologies de rupture ayant comme sous-jacent une véritable avancée scientifique et technologique. Elles couvrent des domaines aussi variés que l’intelligence artificielle, la cybersécurité, l’internet des objets, la réalité virtuelle et augmentée. Elles impacteront en profondeur nos modes de production et nos sociétés.
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