Marie-Laure Gastellu (Directrice adjointe de la ligne métier commerce international, Société Générale)
Exporter ses produits, quelle que soit la taille de son entreprise, est un pari parfois risqué. Avec l'exemple de Voltaire Design, qui a choisi un marché de niche, c'est un autre regard qui est porté sur le commerce international, avec des produits haut de gamme et très spécialisés.
Avec vous, Marie-Laure Gastellu, nous allons revenir sur la formidable histoire de Brice Goguet, président du Groupe Voltaire. Nous allons regarder comment vous, la Société Générale, vous travaillez avec ce genre d'entreprise.
Voltaire Design est une entreprise qui fabrique des selles de cheval ultra-sophistiquées et ultra-spécialisées. Il s'agit uniquement de selles pour les concours de dressage et Brice Goguet ne veut pas en sortir. Son modèle, "ce n'est certainement pas Hermès" m'a-t-il dit ; "[il] veut aller au bout de ce que [l'entreprise] sait faire à la perfection". Vous pensez quoi de ce genre de démarche ?
Marie-Laure Gastellu : Effectivement, je crois qu'il est dans une démarche de niche et de recherche de la perfection.
Brice Goguet est installé à Bidart. Voltaire Design y détient le plus important site de sellerie de France. Il est aussi le seul à faire des selles connectées ! Et, grâce à une championne d'équitation qui a adopté ses selles, il a pu s'ouvrir au marché américain. Aujourd'hui, il y fait plus de 80 % de son chiffre d'affaires à l'export, sur un total de 12 millions d'euros.
Il n'y a donc pas de taille minimum pour une entreprise pour partir à l'export ?
M-G. G. : Non, tout dépend de l'ADN du chef d'entreprise et sur quel produit il se positionne. Concernant Brice Goguet, je pense qu'il a dû tisser un lien fort avec le marché américain pour y parvenir.
Quels sont les risques pour les entrepreneurs qui veulent partir à l'export ? On parle toujours des opportunités mais rarement des embûches...
M-G. G. : Cela dépend essentiellement des marchés vers lesquels vous voulez vous exporter. Dans un cas comme celui-ci, sur le marché américain, il peut surtout être exposé à des risques de non-paiements en cas d'acheteurs indélicats.
Cela étant, ses selles coûtent 4000 € en moyenne. On peut penser que les acheteurs sont, a priori, dans une volonté de payer.
M-G. G. : Oui et puisqu'il est sur un marché de niche avec peu ou pas de concurrence, il a également "le pouvoir" de se faire payer avant d'envoyer le produit.
Vous avez parfaitement raison puisque ses produits sont fabriqués à la commande. Ce qui induit sans doute un pré-paiement.
M-G. G. : À ce propos, vous aviez reçu il y a quelques semaines ma collègue, Agnès Joly, Directrice des services de financement du commerce international. Elle vous avait parlé d'une importante innovation que nous mettons en place pour la fin de l'année, en partenariat avec 9 banques européennes.
Elle consiste à sécuriser tous les échanges entre un acheteur et un vendeur, sur le territoire européen en premier lieu. Le principal risque pour une PME est en effet de ne pas être payée et de se retrouver dans des situations critiques.
Cet outil, basé sur la technologie Blockchain, sécurise toutes les données et les échanges de vente et de transaction.
Oui mais même si vous avez une preuve éternelle de la créance, ce n'est pas cela qui entraîne un paiement effectif ?
M-G. G. : Détrompez-vous. Avec cette technologie, vous allez pouvoir décider à l'avance quels sont les événements qui vont déclencher le paiement. C'est ce que l'on appelle le smart contract, qui s'auto-exécute.
Dans le cas de ce monsieur qui commercialise des selles connectées, on peut dire qu'il est dans un domaine très ancien qui se tourne vers l'innovation. Et nous, nous sommes une banque traditionnelle qui se tourne vers des solutions très innovantes pour accompagner nos clients.
Brice Goguet a placé la moitié de son effectif à l'international, soit environ 150 personnes. Elles interviennent sur trois gros marchés : les Etats-Unis, l'Allemagne et la Grande-Bretagne. De la même façon qu'il va au bout de sa démarche sur l'expertise des selles, il va au bout dans son expertise des marchés.
M-G. G. : Pour une entreprise de cette taille, je pense en effet que c'est plus raisonnable dans un premier temps de se spécialiser sur un marché restreint à l'international, c'est une vraie valeur ajoutée. À la Société Générale, nous le savons bien. Pour cette raison, nous avons des équipes dans plus de 50 pays pour accompagner les entreprises à l'export.
Mais vous avez toujours eu du mal à financer des forces commerciales immatérielles qui prospectent des marchés à l'export. C'est compliqué de demander cela à une banque ....
M-G. G. : C'est vrai, mais nous finançons d'autres choses. Car, pour exporter, il faut connaître le marché visé et les pratiques commerciales sur place. Si nous ne finançons pas l'installation de forces commerciales - ou en tout cas, pas de manière très régulière - nous avons la capacité de financer et de sécuriser les paiements. Nous aidons aussi les entrepreneurs à s'installer dans les pays étrangers.
Très bien, mais il faudra un jour réfléchir à financer la force commerciale en direct...